Pendant des années, je me suis rendue au lavomatique situé dans la continuité de ma rue. Par facilité, entre les cycles de lavage et de séchage, il n’était pas rare que je remonte chez moi pour patienter. + 6 étages.
Puis, si je n’étais toujours pas intéressée par les quais du canal Saint-Martin ou les nombreux cafés du quartier, je faisais un énième aller-retour pendant les 40 minutes que prenaient mes serviettes de massage à sécher. Une corvée. + 12 étages
+ 18 étages plus tard et des cuissots en acier, les serviettes chaudes étaient de retour à leur place initiale, prêtes à être utilisées de nouveau.
Oui, parce que je n’y lave pas mes culottes. Jamais. Que des serviettes. Cycle blanc 90°. Une dose de lessive liquide. Un peu de bicarbonate et de vinaigre blanc histoire qu’elles gardent leur blancheur et pour décaper l’huile des massages.
C’était un endroit avant-garde. Avant la crise générale dans la capitale, j’y ai découvert une colonie de punaises de lit complètement mortes. Le sol en était jonché. On aurait dit des pépins de pastèque. J’ai téléphoné à la gentille propriétaire pour la prévenir. Ce n’était pas la première fois (paiement bloqué, machine en panne, séchage défaillant, etc.) mais je ne l’ai jamais rencontrée.
J’y ai développé une technique redoutable : saluer en gardant mes écouteurs vissés. Difficile au début, car ça donne l’air impoli. Mais sans cette technique, je peinais à m’extraire des conversation que mes bonjours souriants amorçaient contre ma volonté. Je n’ai plus eu aucune culpabilité à l’appliquer après qu’un mec m’ait tenu la jambe pendant de longues minutes pour mettre en lumière nos nombreux points communs. Notamment l’astuce de transvider nos produits dans des bocaux plus petits (effectivement c’est idiot de se trimballer 1L de lessive) et le fait que sa sœur s’appelait aussi Pauline (...) Quand sur le pas de la porte, il m’a dit « on se revoit tout à l’heure pour le séchage », j’ai compris que ça valait la peine d’être malpolie de temps en temps.
Un jour, j’y ai oublié un livre. Quelqu’un l’a trouvé et m’a écrit un SMS pour me le rendre. Par chance, parce que je ne l’ai jamais refait depuis, j’avais utilisé comme marque-page ma carte de visite fraîchement imprimée. La personne m’a interrogée au sujet du contenu du livre, pour vérifier qu’il était bien le mien. Il y a un papier de la Sécu, ai-je répondu. Et quoi d’autre ?, a-t-elle demandé. Aucune idée. On me l’a quand même déposé dans ma boîte aux lettres. Entre la couverture et la première page, j’avais aussi oublié un billet de cinquante euros.
Quand je ne rentrais pas chez moi, j’allais régulièrement au restaurant Bichat, juste en face. J’y testais ma foi en l’humanité en confiant la garde de mon ordinateur pendant les cinq minutes où je déplaçais le linge mouillé d’une machine à l’autre. Après enquête, l’humanité est digne de confiance au Bichat (tant qu’on y est : joyeux anniversaire à leur cliente #1).
Ces histoires compensent le fait que petit à petit, au fil des mois, des années, et des quelques minutes laissées sans surveillance, on m’a volé j’ai mystérieusement égaré un tiers de mes longues serviettes blanches, spécialement conçues pour recouvrir les peaux des massées.
Au tout début de ma vie de masseuse, je plaisantais : « Le passage à la laverie est la partie la plus stressante de mon travail ». On s’habitue à tout.
Pourtant, un jour, j’ai changé.
Est-ce qu’on doit toujours tout optimiser dans la vie ? Je ne sais pas. Pourquoi pas ? Ce serait une histoire sans fin. C’était pas exactement le but, sinon j’aurais changé avant.
Il s’avère que changer de lavomatique - une action qui, je l’admet, n’a absolument aucun enjeu tout comme ce « reportage » absurde - fut une excellente idée. Ma décision fut motivée par l’augmentation du prix du séchage rue Bichat. Un scandale : 1,50 euros les dix minutes au lieu de 1,00 euro les huit.
Indignée, j’ai donc changé… de rue.
Je case toutes mes serviettes dans deux énormes sacs cabas (un Ikea bien sûr et un sac en coton que je n’assume qu’à moitié) avec lesquels je ne passe les portes qu’à condition de marcher en crabe.
Cet endroit est un million de fois mieux que celui que je fréquentais par défaut. Alors, peut-on dire que ma vie s’est améliorée grâce à l’inflation ? Un peu : désormais, lorsque je décide de rester à l’intérieur le temps d’une machine, je peux profiter de la lumière du jour. Grand luxe.
Le cycle blanc est plus long de vingt minutes que celui des machines de la rue Bichat. J’ai plus de temps pour faire pendant que je patiente. Souvent, je m’installe à une table au rez-de-chaussée de mon club de sport qui est juste à côté (et j’écris ma newsletter - c’est le cas aujourd’hui). Pendant le séchage, je retourne au club, je passe au hammam et je me lave les cheveux. C’est un planning absurde. Mais pourquoi pas - si je peux accéder au vestiaire sans prendre de cours c’est qu’il y a une raison.
Ce changement est dérisoire à l'échelle de ma vie mais il n'en est pas moins utile et doux. Je trouvais comique de blablater autant à son sujet mais voici venu le moment de conclure et je ne pense qu'aux autres changements. Ils opèrent à un niveau moléculaire ou sont radicaux comme une rupture. C’était mon anniversaire cette semaine. 27 ans que je change tout doucement. J’ai le vertige d’être témoin de mes opinions qui se nuancent, de mes ressentis qui s’affirment. J’ai envie de changer et je constate qu’il faut se suivre de près pour ne pas se trahir.
Au réveil de mon anniversaire, j’ai dansé devant le miroir en écoutant du Miley Cyrus exactement comme je le faisais à 12 ans quand mes parents avaient le dos tourné (ou pas, d’ailleurs). Le paysage en fond du miroir, mes mouvements, mon visage, mes goûts, mes parents, le choix du morceau, la suite de la journée, tout. Je suis la même alors que tout a changé.
À mercredi pour la deuxième édition de mes Conseils non-sollicités.
En attendant je vous souhaite un très bon long week-end.
Je vous embrasse,
Pauline
Qui suis-je ?
Je m’appelle Pauline Brulez et je suis masseuse depuis trois ans. Mon but est de vous faire découvrir des aspects indiscutés de mon métier mais aussi de vous donner envie de développer le réflexe du massage. Par moi (je pratique et mélange le drainage lymphatique, le deep tissue ainsi que le massage du visage au bâton de Kansa) ou par d’autres - mais en tous cas, régulièrement.
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