Routine irrésolue
#046
Cette semaine, je mets à jour mes réflexions quant au fait de travailler chez moi, à savoir y recevoir et masser mes clientes. Mes conditions ont légèrement bougé depuis ce texte, « Mi casa no es su casa », écrit en juin 2023. Je maintiens le fond plus que la forme et j’ajoute quelques observations ci-dessous. Bonne lecture !
Dans l’après-midi, la température est suffisamment élevée pour que j’écrive depuis mon balcon ombragé. L'ambiance sonore qui fuite des fenêtres alentour m’ancre, le ciel bleu me motive. Aux premiers frissons, je retourne à ma table basse, laissant la fenêtre ouverte. C’est parfait, je reprends l’écriture. Il me suffit donc d’une fenêtre ouverte pour profiter du printemps. J’y songe et de suite me pique une peur proche du manque. La peur que ce détail si simple ne m’échappe. Ça me rassurerait de le ranger en lieu sûr, de pouvoir le ressortir et ressentir chaque fois que la concentration m’échappe. Transformer cette agréable sensation en habitude. C’est toujours la même danse cérébrale. Si ciel bleu = fenêtre ouverte = joie, je me dois de l’intégrer à ma routine quotidienne. Je le note quelque part, en pense-bête. Il me semble qu’à une époque, je n’employais le terme « routine » qu’en synonyme « d’ennui ». Désormais je la fantasme toujours un peu. Elle serait une série de gestes automatiques et harmonieux qui m’épargnerait de faire des choix dès le réveil et me propulserait chaque jour sans faute sur une autoroute de bonheur. Pendant mes études, j’ai aussi entendu un nombre fou de fois des professionnel.le.s vanter qu’aucune de leurs journées ne se ressemblaient. J’ai tardé à reconnaître cette contradiction. L’envie d’une routine rassurante contre la sensation délicieuse de roue libre quand l’emploi du temps est vierge de contrainte. Mon studio accueille les deux.
Il y a des typologies de journée reconnaissables à leur structure, à leur humeur de départ, à leurs objectifs. J’ai besoin de bases solides autant que de flottement. Que les bases solides soient flottantes, interchangeables. Les massages sont des piliers, l’activité physique aussi. Le tout avec des horaires et des interactions changeantes. S’il y a obligation injustifiée, je lâche. Si je n’ai pas de contact humain, je m’attriste. Il n’y a qu’avec l’écriture que j’apprends à être intransigeante. Trop m’écouter ne me fait pas avancer. Au contraire, reculer face à mon traitement de texte, c’est nourrir la peur de ne pas être à la hauteur des lignes à réviser. Tout ça me fait slalomer entre mon appartement, où je vis désormais à plein temps, mon club de sport, le café qui fait l’angle, les bords du canal, les gens que j’aime. J’ai longtemps cru que cette histoire d’écrire au café était une excuse romantique pour ceux et celles qui manqueraient d’une motivation spontanée. Il est toutefois évident que changer d’environnement incite à se mettre au travail. J’observe les excuses que je suis capable d’inventer pour justifier des peurs invisibles. Parfois c’est mon appartement qui prend.
J’ai du mal à descendre. Comme si j’étais encabanée, perchée sur un arbre, tout là-haut au sixième sur cour et sans ascenseur. Une fois dans la rue, je me demande pourquoi avoir tant tardé à franchir le pas de la porte. Il faudrait que ça devienne une habitude. Encore ce fameux réflexe de pensée. Peut-être qu’être une femme détendue tient aussi de l’équilibre entre un cadre fixe et solide et la légèreté du désordre qui bat à l’intérieur. Mes rendez-vous sont le cadre, la structure, la routine. La solitude et le temps libre sont la zone molle dont j’ai tant besoin. C’est toujours un plaisir de masser chez moi. Ranger pour masser, nettoyer pour masser, réorganiser pour mieux masser. J’ai cru que recevoir ainsi troublerait l’évolution de mon activité de masseuse. C’est faux. Ça l’augmente. Je sais maintenant qu’être chez moi induit une intimité supplémentaire à celle intrinsèque au massage. Cette intimité résonne avec mon approche générale des relations, des conversations. Elle ne correspond pas au goût de tout le monde, et sans doute pas à ceux de toutes mes potentielles clientes. Mais j’ai appris à être la masseuse que je veux. Celle qui travaille chez elle, entre autres. Cette identité s’est construite au fur et à mesure. Plus le temps passe, plus elle est évidente, plus elle est moi. Être flexible, organiser au plus simple, être indépendante, créer un cocon, ouvrir ma porte. Les mois écoulés depuis mes premières réflexions à ce sujet m’ont appris qu’on pouvait beaucoup dans peu de mètres carrés. C’est un des jeux de Paris. Avoir un tout petit lieu à soi et savoir quand l’ouvrir, quand le partager, quand en sortir. C’est si étroit qu’on se dit qu’on aura vite fait le tour. Mais cette petitesse permet de creuser. Comme cet exercice que vous êtes en train de lire : écrire et écrire encore au sujet de ma vie de masseuse. Comme la routine aussi. Toujours en cours, irrésolue. Ses possibles sont aussi prolifiques qu’inachevés. À l’image de ceux de mon studio. Je n’en finis jamais d’imaginer comment l’améliorer (nettoyage, ameublement, agencement, réparation, rangement, ambiance). Jamais pourtant il ne sera parfait, puisque mes envies, besoins et capacités ne cesseront d’évoluer. Le point final n’est sans doute pas le but ici.
ps: n’oubliez pas d’ouvrir vos fenêtres et vos chakras en cliquant sur le cœur tout en bas. Merci de m’avoir lue, à bientôt !
Au cas où vous ne sachiez pas encore qui je suis :
Je m’appelle Pauline Brulez et je suis masseuse à Paris depuis quatre ans. Mon but est de vous faire découvrir des aspects indiscutés de mon métier mais aussi de vous donner envie de développer le réflexe du massage. Par moi (je pratique et mélange le drainage lymphatique, le deep tissue ainsi que le massage du visage au bâton de Kansa) ou par d’autres - mais en tous cas, régulièrement.
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